Lettre à mon fils noir
Ils s’appelaient George Floyd, Mike Brown, Trayvon Martin, Adama Traoré…
Mon cœur, je t’écris cette lettre avant que tu ne sois là. Avant que tu n’ouvres les yeux sur ce monde. J’ai pris du temps pour te l’écrire parce que je ne trouvais pas les mots, je n’étais pas prête. Est-ce que je le suis un peu plus aujourd’hui ? Non. Mais j’ai besoin de te dire tout ce que j’ai sur le cœur.
Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée sur cette Terre. Tu me diras que c’est facile à dire parce que tu es mon fils, je te répondrais que les évidences et les vérités sont toujours plus faciles à dire. Tu n’es pas encore là, mais je le ressens au plus profond de moi comme une évidence.
Je rêve de ta naissance et de tes premiers pleurs. Il fait drôlement froid dehors, je le sais. À partir de cet instant, tout sera différent pour toi comme pour moi. Il y a des chances que ton père soit l’homme qui partage ma vie au moment où j’écris ces lignes. Tu auras ses yeux et son sourire, mes cheveux et évidemment mon caractère. Tes premières années seront les plus belles, les plus douces. Nous filmerons tes premiers pas et ton père se prendra pour Spielberg. On s’engueulera, lui et moi, pour que tu n’aies pas de Jordan aux pieds à 3 mois mais dès que tu seras en âge de marcher, je te promets que tu comprendras que Mickael est un grand.
Je te vois faire ta première rentrée et me lâcher la main pour vivre tes premières heures d’indépendance. Ne le dis pas à ton père, mais je verserais une larme cachée dans les toilettes : mon bébé grandit. Dès ton plus jeune âge, tu seras comme moi, toujours avec un livre à la main. Tu disséqueras le monde avec tes yeux d’enfants et tu partageras avec nous toutes ces découvertes incroyables. Tu auras des rêves pleins la tête et ton père et moi seront tes premiers fans.
Tu seras un homme intelligent, travailleur, bienveillant. Tu auras un fort caractère et tu ne te laisseras pas faire parce que ta grand-mère, cette reine, nous la transmit et que c’est dans nos gènes. Ton père est l’un des plus grands travailleurs que je connaisse, tu tiendras ça de lui. Aucune tâche ne sera impossible pour toi. Tu rêveras grand comme nous te l’avons appris, parce que nous connaissons ta valeur. Tu seras un grand homme.
Je te vois arriver au lycée, avec cette idée déjà précise de l’homme que tu veux être. Nous ne vivons pas les choses de la même manière. Je suis inquiète, souvent. Je te pose des questions, beaucoup. Ton père est clairement plus souple que moi. Il me dit de te laisser vivre, que nous t’avons bien éduqué, que tout ira bien. C’est vrai que ton père et moi, sommes différents, complémentaires. Mais quand il s’agit de toi, il ne me comprend pas. Il ne peut pas ressentir la même chose que moi, c’est normal. Il devine, il essuie mes larmes, il me rassure, mais il ne ressent pas ma douleur. Et puis, il y aura ce jour, où vous vous promènerez ensemble. Il aura oublié quelque chose dans la voiture, donc tu avanceras sans lui. Il entendra tes cris et il saura. Des policiers qui t’ont interpellé parce que tu « ressemblais à une description ». Heureusement, qu’il était là. À partir de ce jour-là, plus rien ne sera comme avant. Ni pour toi ni pour lui. À partir de ce jour, il ressentira cette boule au ventre que j’ai à chaque fois que tu quittes la maison. Il n’est pas comme moi, mais il vivra ce que je vis.
Arrivera ce jour, ou après tes diplômes, tu auras envie de parcourir le monde. Découvrir ces richesses cachées, ces peuples si puissants, des histoires incroyables. Nous ne pourrons pas t’en empêcher, nous ne le souhaiterons pas. Alors tu partiras. Nous, ton père et moi, verserons toutes les larmes de notre corps et toi, tu nous rassureras en nous disant que tout iras bien. Mon cœur ne te croira pas, il souffrira. Tu t’en vas…
La vie dont nous rêvons est des fois tellement éloignée de la réalité, que l’on essaie de se rattacher à quelque chose pour ne pas sombrer. Je n’y arrive pas. J’entends ta voix me dire : « maman, je vais revenir, tout ira bien »… George Floyd était assis dans sa voiture, il devait revenir. Amaud Arbery faisait un jogging, il devait revenir. Jordan Edwards était parti à une fête, il devait revenir. Mike Brown, tout comme Trayvon Martin, marchait dans la rue, il devait revenir. Oscar Grant fêtait le nouvel an, il devait revenir…
Tu ne reviendras jamais parce que tu es comme ces hommes. Ces hommes à qui on a pris la vie. Ces hommes que l’on a réduit à l’état animal. Ces hommes que l’on a insulté, méprisé. Tu ne reviendras pas parce que tu es comme ces hommes… TU ES UN HOMME NOIR.
Thia
3 commentaires
Aurélie Carel
Salut Thia , c’est aurélie j’apprécie vraiment ce que tu fais , merci .
C’est vraiment touchante , aujourd’hui encore je trouve que nous martiniquais, nous n’allons pas la recherche de nos origines , trop souvent se sont des personnes étrangères qui nous apporte le savoir sur notre culture.
Nadine Brizzi
Tout est dit …
Merveilleuse lettre ….
Réunif
Bravo pour » ta lettre à mon fils noir »
C’est beau c’est magique c’est touchant doux et si triste en même temps cette réalité
Je suis une maman noir avec un fils de 29ans j’ai passé plus de nuit éveillée que endormie
La police la déjà malmener
Frapper arrêter pour rien sa force est sa foi il m’a dit un jour maman ne t’inquiète pas dieu me protège …
La douleur d’une mère est la douleur de toute mère bravo à toi je suis touché par ton texte extraordinaire????????????❤????❤